La CNIL a interdit l’utilisation de Google Analytics, mais pas que …

Ce jeudi 10 fĂ©vrier 2021, après de nombreux remous au niveau europĂ©en dĂ©veloppĂ©s dans un de nos prĂ©cĂ©dents articles, la CNIL a pris position concernant l’utilisation de Google Analytics par des Ă©diteurs de sites web europĂ©ens : les transferts hors Union EuropĂ©enne qui sont opĂ©rĂ©s par le biais de cet outil ont Ă©tĂ© jugĂ©s illicites. Selon la CNIL, mĂŞme si « Google a adoptĂ© des mesures supplĂ©mentaires pour encadrer les transferts » , ce n’est pas suffisant. « En l’absence de dĂ©cision d’adĂ©quation (qui Ă©tablirait que ce pays offre un niveau de protection des donnĂ©es suffisant au regard du RGPD) concernant les transferts vers les États-Unis, le transfert de donnĂ©es ne peut avoir lieu que si des garanties appropriĂ©es sont prĂ©vues« . Ainsi, le Privacy Shield n’ayant pas Ă©tĂ© remplacĂ© depuis son invalidation en juillet 2020, la CNIL interdit pour le moment presque purement et simplement l’utilisation de Google Analytics. Il revient Ă  Google de prĂ©voir des garanties pour sĂ©curiser le transfert, en particulier pour « exclure la possibilitĂ© d’accès des services de renseignement amĂ©ricains aux donnĂ©es » (quitte Ă  s’attirer les foudres des services de renseignement visĂ©s).

Cette dĂ©cision est une nouvelle victoire pour l’association NOYB, Ă  l’origine de 101 plaintes dans tous les États Membres sur cette problĂ©matique. Elle confirme Ă©galement l’effet domino qui a Ă©tĂ© lancĂ© par la dĂ©cision prise il y a quelques semaines par l’autoritĂ© de protection des donnĂ©es autrichienne.

Une décision élargie à tous les outils réalisant des transferts vers les États-unis


Aujourd’hui, la CNIL ne s’est pas contentĂ©e d’interdire l’utilisation de Google Analytics (en l’Ă©tat du service proposĂ©). Dans le dernier paragraphe de son article, elle indique que « l’enquĂŞte de la CNIL et de ses homologues s’étend Ă©galement Ă  d’autres outils utilisĂ©s par des sites et qui donnent lieu Ă  des transferts de donnĂ©es d’internautes europĂ©ens vers les États-Unis. Des mesures correctrices Ă  ce sujet pourraient ĂŞtre adoptĂ©es prochainement« . Autrement dit, dans l’attente de ces « mesures correctrices », il faut considĂ©rer que tous les outils Ă©ditĂ©s par les GAFAM (pour ne citer qu’eux) qui engendrent des transferts de donnĂ©es vers les États-Unis : cela vaut pour Google Analytics, qui est visĂ© de manière exprès par la CNIL, mais Ă©galement pour Google Fonts, que nous avons Ă©voquĂ© dans un article publiĂ© hier. De manière plus gĂ©nĂ©rale, cette dĂ©cision est susceptible de concerner toutes les entreprises dont le siège social se situe aux États-Unis et qui se sont implantĂ©es dans l’Union EuropĂ©enne.

Politiquement, cette dĂ©cision est très lourde de sens, et semble montrer un vĂ©ritable rejet des outils amĂ©ricains au profit d’outils europĂ©ens : il est difficilement envisageable que les GAFAM mettent en Ĺ“uvre des mesures pouvant rĂ©ellement prĂ©venir les services de renseignement Ă©tats-uniens d’accĂ©der au donnĂ©es sans reprĂ©sailles de leur gouvernement. Il reste Ă  voir comment les États-Unis vont rĂ©agir face Ă  ces mesures que certains pourraient qualifier de protectionnistes (qui ne sont, en plus pas un fait isolĂ© : la DINUM a, par exemple, rĂ©cemment interdit aux administrations françaises d’utiliser Office 365). Le gouvernement va-t-il prĂ©voir des dispositifs moins larges et offrir de rĂ©elles voies de recours aux citoyens europĂ©ens ?
C’est… peu probable. La solution des autoritĂ©s de protection des donnĂ©es europĂ©ennes prend tout son sens lorsqu’elle est Ă©clairĂ©e par le communiquĂ© de presse des sĂ©nateurs Ron Wyden et Martin Heinrich, qui ont dĂ©voilĂ© que des documents dĂ©classifiĂ©s montrent que la CIA rĂ©alise secrètement une surveillance massive des citoyens amĂ©ricains en l’absence (ou presque) de tout garde-fou.

La position de la CNIL est très claire concernant les outils Ă©ditĂ©s par les GAFAM, et est une vĂ©ritable aubaine pour les crĂ©ateurs d’outils français et europĂ©ens, qui vont pour le moment pouvoir se dĂ©velopper plus facilement sur le territoire de l’Union EuropĂ©enne. Elle ouvre cependant une question importante, relative Ă  l’utilisation d’hĂ©bergeurs nord-amĂ©ricains, qui sont Ă©galement soumis aux lois de renseignement des États-Unis mĂŞme si leurs serveurs se trouvent en Europe. Le rĂ©sultat de l’analyse pourrait ĂŞtre un peu diffĂ©rent dans la mesure oĂą, cette fois, les Ă©diteurs de sites internet ont une certaine maĂ®trise des donnĂ©es. En principe, il est possible d’utiliser leurs services dès lors que des garanties suffisantes et appropriĂ©es sont mises en Ĺ“uvre. NĂ©anmoins, qu’est-ce que cela signifie en pratique ?

Quelles garanties sOnt suffisantes pour transférer des données personnelles vers les États-Unis ?


Sur son site, la CNIL a dĂ©diĂ© un dossier documentaire au transfert de donnĂ©es hors Union EuropĂ©enne. Plusieurs types de garanties sont possibles, parmi lesquelles se trouvent les BCR (Binding Corporate Rules) ou encore les clauses contractuelles types (CCT). NĂ©anmoins, toutes les solutions proposĂ©es sont Ă  appliquer de manière casuistique, c’est-Ă -dire Ă  adapter aux situations qui se prĂ©sentent au responsable de traitement : cela complique substantiellement la mise en conformitĂ© des transferts.

Il est notable que les transferts de donnĂ©es vers les États-Unis sont rendus particulièrement difficiles, ce qui n’incite pas les responsables de traitement Ă  utiliser cette solution. En effet, dans un article du dossier visĂ©, la CNIL explique que « concernant les États-Unis, la Cour a estimĂ© que le droit amĂ©ricain en matière d’accès aux donnĂ©es par les services de renseignement (en particulier la section 702 du FISA et l’Executive Order 12333) ne permet pas d’assurer un niveau de protection essentiellement Ă©quivalent.
La poursuite des transferts de données personnelles vers les États-Unis sur la base des CCT dépendra donc des mesures supplémentaires que vous pourriez mettre en place. L’ensemble formé par les mesures supplémentaires et les CCT, après une analyse au cas par cas des circonstances entourant le transfert, devra garantir que la législation américaine ne compromet pas le niveau de protection adéquat que les clauses et ces mesures garantissent ».

Autrement dit, selon la CNIL, et compte-tenu des Ă©lĂ©ments Ă©voquĂ©s un peu plus haut dans cet article, pour qu’un transfert de donnĂ©es vers les États-Unis soit licite, il faut que les services de renseignement amĂ©ricains ne puissent pas accĂ©der aux donnĂ©es de rĂ©sidents de l’Union EuropĂ©enne : la Cour de Justice de l’Union EuropĂ©enne, dans le cĂ©lèbre arrĂŞt Schrems II (C-311/18), a effectivement estimĂ© que ces lois en matière de renseignement « ne correspondent aux exigences minimales attachĂ©es, en droit de l’Union, au principe de proportionnalité » . Sans aller aussi loin, l’absence de voies de recours effectives est regrettable, et a Ă©galement Ă©tĂ© soulignĂ©e par la CJUE : il serait cependant Ă©tonnant que les europĂ©ens obtiennent des garanties alors que les citoyens amĂ©ricains eux-mĂŞmes n’y parviennent pas.

En pratique, il semble que le chiffrement des donnĂ©es soit l’une des rares solutions satisfaisantes, Ă  condition que l’algorithme soit suffisamment robuste et que la clef de dĂ©chiffrement ne soit pas stockĂ©e sur le mĂŞme serveur que les donnĂ©es chiffrĂ©es. Dans cette situation, il serait très difficile pour les autoritĂ©s amĂ©ricaines de dĂ©crypter les donnĂ©es concernĂ©es.
Cette solution n’est nĂ©anmoins pas applicable aux outils proposĂ©s par les gĂ©ants amĂ©ricains, tels que Google Analytics ou encore Google Fonts, puisque l’utilisateur n’a aucune maĂ®trise sur les donnĂ©es transfĂ©rĂ©es.

A défaut de solution satisfaisante, existe-t-il des alternatives ?


Dans de nombreux cas, il n’existera pas de solution rĂ©ellement satisfaisante permettant le transfert de donnĂ©es Ă  caractère personnel vers les États-Unis de manière suffisamment sĂ©curisĂ©e. Dans ce cas, la meilleure solution est de ne pas transfĂ©rer de donnĂ©es personnelles vers les États-Unis, ce qui implique de ne pas utiliser d’outils collectant et transfĂ©rant des donnĂ©es Ă  votre insu et Ă  l’insu de vos utilisateurs. Si votre système d’informations comprend des donnĂ©es Ă  caractère personnel, il est prĂ©fĂ©rable de se tourner vers des solutions europĂ©ennes, par exemple OVH, Scalingo, ou encore CleverCloud pour l’hĂ©bergement, ou bien Matomo s’agissant de la mesure d’audience.

Pour approfondir …

> Utilisation de Google Analytics et transferts de données vers les États-Unis : la CNIL met en demeure un gestionnaire de site web
10 février 2022
> Mise en demeure de la société visée par la CNIL (anonymisée)
10 février 2022
> Article de l’association NOYB, Ă  l’origine de 101 plaintes contre des Ă©diteurs utilisant Google Analytics
13 janvier 2022
> Les mesures supplémentaires mises en œuvre par Google mentionnées par la CNIL (en anglais)
Septembre 2021
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